Le lutin flammèche n’apparaît guère chez nous que dans les longs soirs d’hiver. Quelques savants prétendent, les savants savent tout, que flammèche est né de l’incendie d’une grande ville. Ce genre de lutin aime à se blottir dans les crevasses des cheminées, ou derrière la plaque de fer scellée au mur de l’âtre. Flammèche n’est guère plus gros que le grillon, il parle toutes les langues, connaît tous les enfants, il a des ailes qui brillent comme des paillettes d’acier. Ses jolis petits yeux bleus flambent sous sa chevelure cendrée comme de fins diamants. Son corps diaphane et léger a la couleur mate de l’argent. Quoiqu’il soit dangereux, Flammèche est fort aimé des petits garçons et des petites filles, parce qu’il les amuse et les fait rire. Cependant il n’est pas méchant, mais il est sage de s’en tenir éloigné si on ne veut pas faire comme le petit Jean qui serait encore, à l’heure qu’il est, le plus bel enfant du monde, s’il n’avait point écouté les conseils étourdis du gentil lutin Flammèche.
Petit-jean était couché dans sa barcelonnette, sa mère était allée au marché faire les provisions. La pauvre femme croyait son enfant préservé de tout danger parce qu’elle lui avait dit :
-Jean, si tu es bien sage, si tu ne descends pas de ta barcelonnette, si tu ne vas pas autour de la cheminée, je t’apporterai une tarte aux confitures.
Jean le lui promit, et la bonne mère parti en fermant sa porte à double tour.
Elle ne fut pas plutôt au bas de l’escalier qu’une petite voix timide et douce comme celle du grillon, se fit entendre derrière la plaque de fer de la cheminée. C’était la voix du lutin Flammèche qui disait :
-Petit-jean, dors-tu ?
-Non, répondit Petit-Jean au lutin, je ne dors pas.
-Eh bien ! viens te chauffer, ajoutait Flammèche ; et en même temps il faisait écrouler la bûche que la mère avait couverte de cendres par précaution.
Petit-Jean se tourna dans son lit, jetant un regard de côté sur la bûche qui se rallumait.
-Petit-Jean ! lui cria le lutin, prends les grandes pincettes d’acier et viens tisonner ce feu écroulé. Petit-Jean prends encore la pelle et relève la braise qui est répandue autour de l’âtre.
Petit-Jean répondit :
-J’y vais, ami lutin, attends-moi.
-Je t’attends, répondit Flammèche.
Et Petit-Jean étendit le bras vers une chaise malheureusement placée à portée de sa main, la tira à lui jusqu’à temps qu’elle fût tout à fait auprès de la barcelonnette, et descendit tout joyeux dans la chambre.
Le lutin recommença :
-Petit-jean, prends les papiers qui sont là-bas, sur la table, et jette-les tous au feu.
Petit-jean courut aux papiers qui étaient sur la table, en prit plein ses bras et le jeta sur la braise. Les papiers flambèrent avec la rapidité de l’éclair en faisant une grande flamme. Ce qui égaya beaucoup le lutin et Petit-Jean ; car on entendit des éclats de rire qui emplissaient la chambre.
-Petit-jean ! prends le soufflet qui est accroché à un clou dans le coin de la cheminée et souffle sur la braise, s’écria Flammèche.
Petit-Jean fit ce que lui conseillait le lutin, il souffla, et mille étincelles volèrent dans l’âtre en pétillant comme un feu d’artifice, ce qui amusa beaucoup Petit-Jean et Flammèche. Le rire redoubla.
-Lutin Flammèche, dit à son tour Petit-jean, sors de ta cachette que je te voie. Viens avec moi dans la chambre.
-Non, répondit le lutin, si ta mère me surprenait, elle me battrait.
-Maman n’y est pas, répondit Petit-Jean, elle est au marché. Viens, ami lutin. Viens vite.
Le lutin vint se poser joyeusement sur la pomme d’un chenet, agita ses ailes avec grâce, et s’écria :
-Me voici !
Petit-Jean se traîna sur les genoux et s’avança à quatre pattes pour regarder Flammèche de plus près.
-Petit-Jean ! lui dit encore Flammèche, voltigeant et sautillant, va dans ce cabinet au fond de la chambre, tire des harts du fagots et jette-les au feu.
Petit-Jean courut dans le cabinet, en rapporta des harts sèches, puis il les jeta dans le foyer. Les harts flambèrent en se tordant comme des couleuvres, ce qui fit rire de nouveau Flammèche et Petit-Jean.
-Petit-Jean ! prends ces allumettes sur la cheminée, et jouons au «petit bonhomme vit encore».
Petit-Jean fit ce que lui conseillait Flammèche.
-Petit-Jean ! prends ce grand tison dans ta main, et secoue-le fortement pour en faire jaillir des ronds et des rubans de feu.
Petit-Jean prit le tison, et le voilà qui l’agite, tourne son bras, fait des cercles enflammés et des longs rubans de feu. Il allait, venait, courait ainsi à travers la chambre, à la grande satisfaction de son ami lutin. Dans le plus fort du jeu, un morceau de braise se détache du tison et lui tombe sur le pied. La douleur du feu est la plus vive et la plus rapide de toutes les douleurs. Petit-Jean fit un cri, et jeta par la chambre le tison rouge encore. Le tison vola dans la barcelonnette, le feu y prit. Petit-Jean voulut l’éteindre. Sa chemise s’enflamma. Sa mère montait l’escalier. Petit-Jean heurtait à la porte fermée. Le feu le dévorait. Flammèche avait regagné son gîte aux cris que poussait Petit-Jean. La porte de la chambre s’ouvrit. Petit-Jean se roulait sur le carreau.
-Malheureux ! s’écria la pauvre mère, arrachant la chemise en flammes du pauvre petit, malheureux, qu’as-tu fait ?
-Mère ! c’est Flammèche, répondait Jean, c’est Flammèche qui a mis le feu à mon lit, ce n’est pas moi ! Et Jean criait, se tordait dans les bras de sa mère fondant en larmes.
Cependant il en fut quitte pour quelques cloques au bras et une large cicatrice à la joue, ce qui le défigura pour le reste de ses jours.
Si jamais ce gentil lutin Flammèche se présente à mon foyer, il peut être sûr que je lui tortillerai le cou, que je mettrai le pied dessus, ou bien que je l’étoufferai sous mon large éteignoir !