Schaabahm, roi de Perse, très riche et très vieux, s'ennuyait : cela peut arriver aux rois comme à chacun de nous. Schaabaham alla trouver un solitaire en grande vénération dans le pays, et lui dit :
"Je m'ennuie, et tout me pèse ; que faire ?
- Trouve, répondit le solitaire, la chemise d'une homme heureux, et mets-la."
Le roi appela son grand vizir : "Tu as entendu, dit-il, va."
Le grand vizir ne se fit pas répéter l'ordre, et sortit bien joyeux ; son crédit commençait à diminuer : rien ne pouvait venir plus à propos qu'une telle commission : la chemise d'un homme heureux, quoi de plus facile à trouver ? Le voilà donc en campagne. Sur le chemin, avisant des gens assemblés : "Qui d'entre vous, dit le vizir, est le plus heureux ?" Personne ne répondit d'abord. Alors le vizir les interrogea séparément. Mais celui-ci, homme de négoce, venait de perdre beaucoup d'argent ; celui-là, ouvrier à la journée, n'en gagnait pas assez pour vivre ; Ibrahim était ambitieux et Mohammed était malade.
"Moi qui vous parle, dit un laboureur, je succombe à la peine, sans pouvoir nourrir mes pauvres enfants !
- Que dirai-je donc, interrompit un autre, moi qui viens, pour ma part, d'en perdre quatre ?
- Sottes gens, pensa le vizir ; allons ailleurs."
Mais par toute la ville, ici pour une raison, là pour une autre, une réponse unique lui fut faite : "Nous ne sommes pas heureux."
Le vizir commençait à prendre inquiétude. Heureusement, hors des murs, voilà qu'un jeune berger vient à sa rencontre, bien déguenillé et bien pauvre, mais l'air joyeux pourtant et le contentement peint sur toute sa personne. Le vizir, à tous risques, adressa au villageois sa question ordinaire.
Le vizir commençait à prendre inquiétude. Heureusement, hors des murs, voilà qu'un jeune berger vient à sa rencontre, bien déguenillé et bien pauvre, mais l'air joyeux pourtant et le contentement peint sur toute sa personne. Le vizir, à tous risques, adressa au villageois sa question ordinaire.
"Heureux, répond le berger, pourquoi non ? Quand on a de belles brebis, que l'on conduit sans trop de peine, de bons maîtres, dont on est aimé, le pain de chaque jour assuré et une flûte pour passer le temps, peut-on, dites-moi, n'être pas heureux ?"
Le vizir emmène le berger par la main, et le présente à Schaabahm, comme possédant toutes les conditions que pouvait souhaiter Sa Majesté. Les serviteurs vont pour chercher sur les épaules du pâtre ce précieux vêtement qui doit rendre au maître joie et belle humeur. O surprise ! O désespoir ! L'homme heureux n'avait pas de chemise !