Merle
D’abord un frémissement à peine sensible, un sourd frisson qui court à travers la forêts ; murmure mystérieux de l’herbe qui pousse, de la feuille qui se déplie et de la sève qui monte ; puis, au bord des taillis où jaunissent les cornouillers en fleurs, au fond des combes humides où le joli-bois épanouit ses calices roses, trois notes éclatent, trois notes vives, lestes et allègrement redoublées ; c’est le premier éveillé des chanteurs, le merle qui siffle sa chanson d’écolier aux arbres à peine bourgeonnants. Il a l’air de crier aux quatre coins de la forêt : « Gai ! gai ! qu’on s’ébaudissent, voici le printemps revenu, voici la Saint-Aubin, où chaque oiseau marque déjà la place de son nid ! ». A ce joyeux boute-en-train deux voix répondent : l’une qui jaillit de dessous les grands couverts, veloutée et vibrante à la fois, c’est le pinson ; l’autre, partant des lisières, claire, naïve et sautillante, c’est la fauvette noire.
Pinson
Ces deux nouveaux chanteurs n’ont qu’une courte mélodie ; mais ils la répètent à satiété, comme s’ils éprouvaient le besoin de se bien convaincre eux-mêmes que l’hiver est sérieusement fini, et qu’en dépit des giboulées d’avril, le printemps n’est pas contremandé.
Là-bas, dans la plaine où les blés et les seigles verdissent, des centaines de voix aériennes et mélodieuses leurs confirment la bonne nouvelle. C’est le choeur matinal des alouettes. Dès l’aube, la première éveillée a pris l’essor, et montant en droite ligne si haut qu’elle a pu monter, comme le matelot à la vigie du grand mât, elle annonce à tout son peuple que voici le temps des amours et des nids, puis elle se laisse retomber, ainsi qu’un fil à plomb, dans les sillons herbeux. Une seconde alouette s’élance, puis une troisième, puis vingt autres ; c’est à peine si on les voit, là-haut, dans la pourpre rosée du soleil levant, mais on entend leur musique lointaine dont les notes semblent s’égrener en perles lumineuses.
Le signal est donné. Partout, des buissons du chemin, des pruniers en fleurs du verger, des berges de la rivière, des gorges profondes de la forêt, un tutti merveilleux emplit la sonorité de l’air : trilles des chardonnerets, gazouillis des pinots et des mésanges, vocalises de la grive, tremolo de la huppe, rentrée du bouvreuil, petite flûte du troglodyte et de la sittelle. Puis, par intervalles, sur ce fond incessamment varié, deux notes redoublées, graves, profondes, rêveuses, traversent l’épaisseur des bois.
Chardonneret
C’est la voix du coucou, ce chanteur invisible et fantasque qui se fait entendre presque en même temps à tous les coins de la forêt, et qui semble rythmer la fuite des heures. On le croit tout près, on le cherche, et son appel sonore retentit déjà au loin. Dans le concert de la joie universelle, c’est lui qui jette la note mélancolique. Ce double son si plein et si mystérieux, qui semble toujours fuir et qui revient sans cesse, est comme une écho des printemps évanouis et des amitiés envolées. Il a l’air de nous soupirer : « Souvenez-vos ! Souvenez-vous !… Donnez une pensée aux disparus, aux ombres aimées qui ne goûteront plus les ivresses du renouveau… Le temps s’écoule et vous emporte… Pour vous non plus, les printemps ne refleuriront pas toujours ! » Mais en dépit des pronostics de ce mélancolique et capricieux avertisseur, la commune allégresse du peuple insoucieux des oiseaux continue de se manifester par une exubérance de chansons. Les feuilles poussent, les muguets embaument, les nids se construisent partout : dans l’herbe, dans la haie, aux creux des arbres morts, à la fourche des branches vertes, et chacun ne songe qu’aux délices de l’heure présente.
Coucou gris
Noires et blanches, véloces avec leurs ailes en fer de flèche, voici que les hirondelles débouchent des rues du village. Intrépides voyageuses, elle arrivent de loin et elles témoignent la joie de se retrouver chez nous par des circuits étourdissants. Buveuses d’air, elles frisent le faîte des toits, elles rasent la terre et l’eau, disparaissent sous les arches des ponts, puis se remontrent en plein soleil ; elles virent, montent, descendent, sans jamais se poser, sans à peine faire entendre un petit cri. La danse silencieuse de ces noires bohémiennes est comme un intermède dans la symphonie du printemps. C’est le ballet au milieu du concert.
Là-bas, dans la forêt, on chante toujours. A la fois sourd et troublant, résonnant et voilé, du fond des halliers monte le roucoulement des ramiers sauvages. Le son troublé et langoureux s’élève, puis tombe pour renaître encore ; on dirait le soupir de la forêt assoupie et bagarrant à travers son rêve. Ce n’est plus l’aubade joyeuse de l’alouette, ni le babil espiègle du merle, ni l’appel sonore du coucou ; c’est l’intime causerie de deux époux qui s’aiment et qui, pelotonnés dans leur bonheur conjugal, échangent de voluptueuses confidences, douces et fondantes comme un gâteau de miel. Sans souci de ce qui se passe autour d’eux, les ramiers roucoulent, roucoulent, tout entiers à leur mutuelle tendresse et pareils aux amants de La Fontaine,
Ils sont l’un à l’autre un monde toujours beau.
Toujours divers, toujours nouveau…
Voici que les ombres s’allongent sur les champs ; dans l’eau des étangs le ciel réfléchit son azur plus foncé ; les massifs des bois prennent des tons de plus en plus roux, et la première étoile tremble au-dessus de l’horizon. Les voix s’affaiblissent peu à peu, les oiseaux s’endorment près de leurs nids. On dirait que le concert va finir ; mais ce n’est qu’un faux silence, une pause adroitement ménagée pour préparer l’entrée en scène du grand virtuose du printemps.
Le rossignol chante, et on dirait que la nature entière est aux écoutes. Les admirables airs de ce maître soliste emplissent tout l’intervalle du crépuscule à l’aurore. A côté de lui, les autres exécutants reculent dans la pénombre. Il fait oublier leur faibles romances, comme le muguet embaumé aux blancheurs de lait efface le souvenir des fleurettes d’avril. Avec lui l’enchantement féerique commence. L’hymne du rossignol est le chant de l’amour tyrannique, violent et doux, oppresseur et opprimé, tendre et sensuel. On ne se lasse plus de l’entendre, on voudrait qu’il durât toujours…
Mais rien ne dure. A la mi-juin, l’haleine du maître artiste s’accourcit, et, quand les grands feux de la Saint-Jean flambent dans la plaine, sa puissante voix ne résonne plus dans la nuit. Déjà avant lui se sont tues les fauvettes. Seule, en plein soleil, dans les saulaies de la rivière, l’effarvatte jaseuse lance intrépidement son étourdissante mais vulgaire mélopée. La bruyante musique monte au-dessus de l’eau miroitante, à travers le transparent flamboiement de l’air embrasé, tandis que, là-bas, dans les verges rouges de cerises, les loriots se grisent de jus parfumé et jettent encore leurs trois notes grasseyantes et flûtées. Ce sont les derniers chanteurs de la saison, et leur chanson ensoleillée clôt la symphonie printanière.